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Mais le chat...

La scène s’est produite le 2 janvier à la gare Montparnasse, à Paris, où Georgina et sa fille Melaïna s’étaient rendues pour rentrer à Bordeaux, après avoir passé les fêtes dans la capitale. Dans une sacoche leur chat, Neko, qui s’échappe et se réfugie sous le train. Pendant vingt minutes, les deux femmes tentent de retarder le train, et d’appeler le chat, qui ne paraît pas bouger. La mère tente aussi de parler au conducteur, mais le personnel refuse.

Non ce n’est pas possible
Vous ne vous rendez pas compte
Le train doit partir
Les gens ont payé pour que le train parte à l’heure
Les trains doivent toujours partir à l’heure
Avant l’heure ce n’est pas l’heure
Mais après l’heure ce n’est plus l’heure
Et si le train ne part pas à l’heure
Il ne pourra plus partir à l’heure
Quelle que soit l’heure à laquelle il partira
Ce ne sera plus l’heure
Il y a juste une seule minute précise prévue de longue date
Annoncée connue de tous les voyageurs qui ont payé et réservé
Pour cette minute unique dans leur vie
Celle où leur train va partir quitter le quai et s’élancer vers leur destination
Le jour dit à l’heure dite à la minute près
Et vous voudriez remettre en cause tout cela qui est
Planifié organisé contractualisé entre
La compagnie de chemin de fer et ses voyageurs
Savez-vous qu’en savez- vous dans ce train ont pris place des gens importants Et qui ont des choses importantes à faire
De gros contrats à signer peut-être certainement
Qui ne peuvent être différés
Et qu’un retard un simple retard
Suffirait à ruiner des mois de travail pour
Préparer mettre au point négocier amender relire finaliser valider
Ces contrats qui n’attendent que le rendez-vous de signature
Qu’un retard même minime

Mais vous savez il n’y a pas de petit retard-il n’y a que le retard, point !
Le retard est absolu pas relatif
Une seconde après le big bang l’univers est créé
Fallait pas la louper celle-là
Une seconde plus tard à la vitesse où ça va
La Terre n’existerait pas ou la lune peut-être
On n’y verrait goutte la nuit
Ou il n’y aurait pas de marée
Vous voyez-Très très embêtant
On ne se rend pas compte de ce qui peut arriver en une seconde
Vous voyez bien
Qu’un retard empêcherait de conclure ces contrats
Et ce serait terrible pour notre industrie notre économie notre niveau de vie
Ça joue sur tout le PIB l’emploi des jeunes des seniors
Les caisses de retraite les allocations familiales
Les recettes fiscales sociales sur tout
Qu’est-ce que vous croyez ?

Mais le chat…

Savez-vous qu’en savez-vous
Nous avons à bord des hommes d’affaire et aussi
Des hommes politiques qui voyagent  en première classe
Qui ont payé cher très cher leur carte business privilège
Pour des prestations haut de gamme
Pas pour que leur train ne parte pas à l’heure
Pour eux ce serait un scandale
A quoi bon payer pour avoir un service haut de gamme
Et devoir attendre comme un vulgaire banlieusard à l’heure de pointe ?
Vous ne vous rendez pas compte
Nous sommes dans un monde où le service doit être parfait
Acceptez-vous d’attendre au restaurant ?
Non si le serveur ne s’intéresse pas à vous vous vous impatientez
Vous trépignez sur votre chaise vous lancez des regards noirs autour de vous. Et un businessman s’il est dans un restaurant trois étoiles
Où il est connu où il a l’habitude d’aller
Et qu’il n’est pas immédiatement servi il fait un scandale
Surtout s’il est avec sa secrétaire
Car alors s’il n’est pas respecté devant sa secrétaire
C’est toute l’entreprise qui est concernée
Car la secrétaire est le lien le plus direct et le plus naturel
Qui relie le Patron à ses employés
Le filtre le plus sûr
Alors si scandale il y a
Ce n’est pas tant lui qui en est à l’origine
Mais bien toute l’équipe du restaurant
Qui n’a pas su ou pas voulu
Comprendre admettre se ranger se plier se bouger se démultiplier
Pour répondre à la seconde même
Pas la suivante
Car ce n’est pas la même chose
Aussi s’il se plaint s’il râle s’il s’emporte s’il profère des injures
C’EST NORMAL
 Il va payer il a le DROIT d’être servi
Avec attention et respect et sans délai et avec déférence
Mais sans obséquiosité et par le chef de rang non par l’apprentie
Et on doit s’assurer en permanence que tout va bien pour lui
Qu’il n’a pas trop chaud ni trop froid
Que son verre est plein
Et qu’il y a toujours suffisamment de monde disponible
Pour se précipiter au moindre geste
Qui traduirait un début d’impatience ou de déception
ET C’EST NORMAL
Puisqu’il paye très cher pour une prestation haut-de-gamme
Une prestation de luxe une prestation hors normes
Que ni vous ni moi ne pouvons-nous offrir
Ce qui le distingue du tout un chacun
Du vulgum pecus comme on dit
Et fait de lui une personne à part distinguée
Pour laquelle il n’est pas question
Vous m’entendez pas question une seule seconde
De différer le départ du train d’une durée éponyme.

Mais le chat…

Je vous parlais des hommes politiques
Savez-vous qu’en savez-vous que
Beaucoup d’hommes politiques des députés des ministres même
Rentrent le week-end dans leur circonscription
Eh oui Mademoiselle nous transportons la crème de la France
L’élite les diplômés les Enarques les HEC les polytechniciens les Docteurs
Les chercheurs les consultants les membres de cercles
Très fermés et très influents toutes sortes de gens qui gravitent
Qui gravitent autour
Qui gravitent autour du pouvoir
Et qui n’ont pas de temps à perdre pas le moindre
Car ils travaillent dans le train avec leur ordinateur
Et nous mettons à la disposition de toutes ces personnes
Influentes dirigeantes
Qui ont des idées dont nous n’avons même pas idée
Nous leur donnons les moyens de communiquer dans le monde entier
Et ils ne peuvent pas perdre une seconde
Puisqu’ils travaillent dans le train
Et qu’à l’arrivée leur dossier sera bouclé
Envoyé recopié diffusé Just in time, vous comprenez ?
On manage par les délais
Ils doivent rendre le rapport à l’heure
C’est ce à quoi ils se sont engagés
Time is money
Rendez-vous compte
Imaginez que
Leur concentration ait été le moins du monde troublée
Parce que le train n’était pas parti à l’heure
Et qu’ils commettent une erreur par voie de conséquence
-Et uniquement parce que le train n’est pas parti à l’heure-
Ils ne font jamais d’erreur autrement-
Une erreur sur un taux dans un tableur Excel-
Qui va modifier abîmer détériorer dénaturer tronquer
Fausser le résultat final
Qui est le chiffre clé -celui que le ministre attend-
Il a renoncé à une soirée en famille-
La seule soirée en famille qu’il aurait pu se permettre depuis trois mois
Pour rester entièrement disponible de corps et d’esprit
S'il n’y avait pas eu ce fameux chiffre –un nombre en réalité-
Sur lequel ses meilleurs conseillers travaillent-
Tous Enarques-Polytechniciens-
Un nombre composé simplement de quelques chiffres
Une dizaine de caractères au maximum
-Mais agencés organisés structurés séquencés posés avec soin
Et méthode et clarté
Factuellement professionnellement mathématiquement 
Ne pouvant souffrir aucune contestation aucune remise en cause
Quand il le présentera au conseil des ministres mercredi
Et qui doit décider pour les trente prochaines années
Si on renonce définitivement au nucléaire
(Ce qui , entre nous, n’irait pas sans poser beaucoup de problèmes)
Ou s’il faut lancer la construction de 15 EPR.
Comprendrez-vous enfin les enjeux ?
Allez-vous enfin vous rendre compte du caractère
Exorbitant farfelu injustifié inapproprié irréaliste intenable  irresponsable inadmissible intraduisible inaudible
de votre demande ?    

 

Mais le chat…

 

Et je ne vous ai parlé que de la partie émergée de l’iceberg
Il y a aussi beaucoup d’autres gens
Aux fonctions moins prestigieuses
Qui n’ont pas les moyens ou
Dont l’employeur ne veut pas leur offrir la carte Business privilège
Et ceux-là justement ces sans grades ces obscurs qui
Néanmoins dans la soute font tourner le pays
Grâce à un dévouement sans faille-jamais malade-jamais en grève
Toujours prêts à en faire plus
Sans véritable contrepartie financière ou avantages sociaux
Ces travailleurs de l’ombre
Ces fils de paysans de métallos de soldats de l’an II
N’ont-ils pas le droit de partir eux aussi à l’heure 
A l’égal des grands de ce monde ?
Si l’exactitude est la politesse des rois
Ceux-là devraient-ils être considérés comme
Des pourceaux sans fierté que la honte d’un retard n’humilierait pas ?
Ne sont-ils pas grands déjà par l’œuvre accomplie jour après jour
Dans l’anonymat le plus complet
De l’usine de l’atelier du bureau de l’Open space ?
Vous feriez deux poids deux mesures ?
Au chemin de fer le train part à la même heure pour tous
Qu’on soit en première ou en deuxième classe
Qu’on ait un billet business carte privilège
Ou un billet famille nombreuse
Qu’on soit grand petit riche pauvre handicapé homme femme enfant
Vous comprenez
Ici tout le monde est sur le même pied d’égalité
Sous la balance de justice
Qu’incarne magnifiquement la pendule
Toujours à l’heure
Toujours remontée de sa mécanique bienveillante
Et dont les aiguilles comme de grands bras
Etreignent embrassent à l'instar d'une mère aimante
Toute cette humanité de voyageurs en partance
Pour leur dire affectueusement mais FERMEMENT
Dans un tic-tac d’amour pudique et silencieux
Comme pour les protéger : c’est l’heure !    

Mais le chat…

« Je hurlais, je paniquais, j’interpellais des gens », confie la jeune fille au Parisien. En vain. Après vingt minutes de négociations, le train démarre et scie le pauvre animal en deux. « On l’a vu en train de courir en dessous du train, c’est la dernière fois que je l’ai vu en vie, il m’a regardé dans les yeux car il a dû m’entendre, il a continué à courir puis c’était fini »
 

Tag(s) : #Chat
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