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1

La foudre, de grands éclairs illuminent les collines, et la pluie déversant les larmes de la colère des Dieux, et les hommes éphémères malmenés dans la tempête : on ne sait pas encore ce qu'ils ont inventé, ils ne savent pas eux-mêmes ce qu'ils ont inventé, mais des hommes éphémères ou plutôt un et une éphémère sur chaque versant de la colline, 2 moitiés du même fruit, fils de soleil et fille de lune, sœur et frère, si proches et si irrémédiablement différents, homme et femme, roulent ensemble sous le tonnerre de Zeus, si jeunes et si beaux qu'ils vont mourir.

Quel crime ont-ils commis ? Qu'ont-ils donc fait pour vous déplaire ?

Ils se cachent à présent.

Sur l'eau, la tempête en a surpris plus d'un. Navigateur aux étoiles cherchant sa route un peu plus au couchant, creusant son lit dans l'eau noire, resurgissant tout habillé de sel, son cœur ouvert aux mouettes et sa voix étouffée dans les replis du vent.

-Sais-tu qui nous sommes ?

-Non, nous ne le savons pas encore.

-Chassés de l'Olympe...

-Partons à sa recherche. Viens !

-Que cherches-tu ?

-Partons !

-Combien de temps ?

-Viens ! Nous voici seuls sur ces rochers qui parlent au détroit de la grande mer. Regarde comme elle est belle !

-Elle me fait peur !

- Sais-tu marcher sur l'eau ?

-Et les Dieux ?

-Invente la sagesse !

-Te rappelles-tu l'Olympe ?

-Oui, c'était le Paradis ?

-Oui, et c'était l'enfer aussi !

-Oui ! Pas pour eux !

-Non, pas pour eux !

-Qu'est-ce qu'on a fait ?

-Ne le dis pas, non !

-Pourquoi ne sommes nous pas

des Dieux ?

- Demande-leur !

-Dis, qu'est ce que ça veut dire "Ephémères" ?

-Ca veut dire qu'ils en ont rien

à foutre de nous !

-E-phé-mères ! Ouais, on est des

Ephémères !!!

-Pour toujours ?

-Oui, pour toujours.

2

La terre ce sont d’abord ces taches de vert, de bleu, de sombre. Un assemblage de choses finies. Enfin, des points de repère ! Des couleurs et du son. Des parfums et un goût. Sentir. A l’intérieur d’eux-mêmes, la voile s’est repliée. Ils n’ont plus l’impression d’être le jeu du vent, presqu’indistincts de lui, portés par une sorte de hasard. En ouvrant grand leurs yeux, ils essaient de toucher la lumière. Comme ils n’y arrivent pas, ils se penchent sur l’ombre que projettent au sol leurs gestes gauches et la rencontrent. Ils se disent que la terre est peut-être plus proche de l’ombre que de la lumière, du moins en apparence. Ils n’ont pas de certitude. Ils n’ont pas de parti-pris. Ils ne comprennent pas tout à fait ce qui leur arrive, mais ils sont en quelque sorte tombés de la dernière pluie, qui leur en voudrait ? Un grand esprit (et ils n’en ont jamais entendu parler) a justement dit que le plus grand obstacle à la connaissance est précisément ce que nous savons déjà. C’est peut-être pour cela qu’à la fin nous mourons quand nous ne pouvons plus rien inventer.ni connaître que nous ne sachions déjà. Comme un jouet téléguidé dont la pile est morte. En touchant la terre, les éphémères commencent un long voyage dont ils n’imaginent pas l’issue. Et ils ont tant de choses à découvrir.

Ainsi a toujours commencé chacun de nos voyages, chacune de nos histoires par « toucher terre ». Et toucher terre, c’est toucher l’inconnu.

La vie est-elle le voyage ou le moyen de transport ? Le train ou le paysage ? On ne se déplace pas dans l’espace, mais sur le temps. Le seul déplacement c’est le mouvement de la terre sur lequel nos horloges sont réglées et notre vieillissement. Dans cet état de pesanteur, comment vivre léger ?

Pour affronter cet inconnu, il faut être un peu géographe et un peu historien. Une part d’Elisée Reclus, deux doigts de Thucydide, une pincée de Tite-Live et un gros peu de Fernand Braudel. Et on pourrait inviter Marx. Sûrement beaucoup d’Homère. Car la terre a des formes, des histoires et un chant. Oui, on chante la terre pour la comprendre ou pour l’aimer, pour se supporter. Les éphémères ne savent pas encore tout cela, ils ne savent rien du tout, n’en ont pas conscience. Merveille de la jeunesse, qui vit dans l’instant. Mais nous ?

Qui l’avons pratiquement exploré et conquise continent par continent

et cela requit tant de courage, de hardiesse et d’atrocités

à coup de peur d’argent de poivre de prières et de commerce triangulaire

Qui l’avons découpé centimètre par centimètre afin qu’aucun de ses pixels n’échappe à la traque des satellites tenus en laisse

Qui avons appris mille histoires, mille chansons sur elle qu’il fallut se transmettre de bouche à oreille et déchiffrer parfois de mystérieuses langues anciennes

Qui avons quelle que soit l’époque à un cheveu près calculé sa distance au soleil

Qui avons aidé les cités les nations à se faire se défaire s’unir et s’écraser,

Qui avons assisté à la naissance des religions et vu de nos yeux vu Dieu sortir de nos bouches comme un crachat à la face du ciel

Qui avons imaginé tous les systèmes théogoniques et tenté la synthèse entre l’humain le divin la science la religion pour des raisons pas toujours catholiques

Qui sommes arrivés nus avec la vague sur la rive et sommes repartis comme nous étions venus

Qui nous sommes très consciencieusement et très méthodiquement massacrés dans les siècles des siècles

Qui avons écrit des encyclopédies et décrit le progrès,

Qui avons pris la mer

Qui avons construit des châteaux de sable et des murs de Berlin

Qui avons bâti des empires et écrit des tragédies

Qui cherchons toujours à mettre l’atmosphère en équations et Paris en bouteille

Qui n’avons eu de cesse de crier ; »Civilisation ! » tout en sachant que les civilisations sont mortelles

Qui avons aimé les rimes et le vin et l’amour à en perdre la raison

Qui avons traîné si souvent seuls dans les grandes villes

Qui sommes morts à Venise à Stalingrad aux Dardanelles

Qui portons encore la chemise rayée des camps de la mort

Nous, oui, nous, sommes-nous plus avancés qu’eux ? Au fur et à mesure que l’homme avance et voit plus loin, l’univers s’agrandit. Au loin, à quelques milliards d’années lumière, les étoiles qui s’en approchent trop près se brisent sur le trou noir au cœur de leur galaxie Le monde a-t-il un projet ? Est-ce aux hommes d’en décider ? Pouvons-nous prendre le pilotage de l’avion ? Est-ce possible ? La terre à la merci d’une météorite….. Plus rien et tout redémarre monde à construire monde à détruire notre destin sera-t-il différent des dinosaures et alors qui viendra se pencher sur nos fragments sur nos traces au fond d’un univers gelé Qui viendra ? Qui ?

Alors nous reprenons nos livres.

3

On est voyeurs. Où sont nos sentiments ? J’attends du journal qu’il me dise qui je suis. J’ai toutes les raisons du monde d’espérer et de mourir. Je suis femme sans doute, encore fille, très loin du plan statistique. Mon nom ne vous dira rien, je tisse un chemin parmi les tombes, j’écris. Mon nom ne vous dira rien, mes mots ont un sens sous le sens commun. Vous diront tout. Je me suis nourrie d’ombres pendant des lustres, je n’ai fait que remâcher de la mémoire. Ca donne faim partout, au rein, au cœur, au sexe. Ca donne ce manque immense d’amour que vous voyez et revoyez sur les images de la libération des camps, ces êtres sans chair et sans voix, ces bouts de papier anonymes, comme des décalcomanies sur les consciences du 20ème siècle.

Voilà, j’écris, pour survivre. Je vis dans un monde très simple, très protégé et très cruel. Ici, on ne se tue pas pour manger. J’aime la poésie, parce qu’elle est libre. Moi aussi, je suis libre, comme chacun le croit chez nous, au moins dans sa tête. Et c’est dans la tête qu’il y a le moins de liberté. J’aime le monde moderne. Sa science, sa technique. Les mots d’Apollinaire et de Cendrars. J’aime un peu moins son asservissement, ses satellites qui nous traquent, le flic internet. J’aime la poésie du moyen âge, courtoise, amoureuse, et le moteur de recherche de la BNF. L’amour pleure souvent, je trouve, et je pense aux croisades. Si la guerre est l’occasion d’aimer ? On n’en voit que des blessés qui reviennent, et des morts qui ne reviennent pas, les vivants se cachent parmi les ombres, ils se taisent et on ne les voit pas.

Quand je vous parle, je ne vous vois pas non plus, mais c’est à vous que j’écris. Je me suis vieillie un peu pour l’occasion, j’ai gagné du temps. Je suis peut-être plus jeune que ce que vous pensez et moi plus vieille que ce que je crois. Ma poésie a toujours été celle de quelqu’un qui savait qu’il allait mourir. Nous sommes des milliards et chacun le sait et à sa façon se le cache Aussi ma poésie ne peut-elle être originale. Je suis une auteure anonyme du 21ème siècle et comme vous je marche en silence sous le soleil. J’attends beaucoup de l’avenir, rien de bon, mais beaucoup. De la lumière, des incendies, et des questions nouvelles. Nous penserons avoir eu raison de la mort, mais cela ne simplifiera pas tout. Plus l’homme avance, plus c’est compliqué. La nuit recule comme devant un chasse-neige. Quand nous serons face aux congères, éternels, mais hagards, nous aurons froid dans nos consciences et nos cœurs ne sauront pas où s’abriter.

Avant tout ça, il y a le présent et la nuque de l’avenir qu’on voudrait bien ne pas briser. Nous sommes en France, un petit pays d’Europe, dont la langue eut maille à partir avec la poésie qui ne se s’en sortit pas si mal. La poésie sauva la langue bien des fois, qui à jamais lui en sera reconnaissant ? Qui aura un peu d’envie pour les peuples d’Europe et pour la poésie ?

Les combats, mêmes réguliers, laissent des marques, des traumatismes, des douleurs dont plus personne ne veut parler. Les mots seuls conservent dans leur chair le souvenir des bleus indispensables devenus inutiles. Nous aussi avons mal sans trop savoir pourquoi, le souvenir de ces blessures sans raison et sans lesquelles nous ne serions plus là.

De ces combats je n’en veux plus j’en suis lassée. Puissent leurs souvenirs hystériques ne plus tourmenter le sommeil de mon âme. Puissent leurs clameurs s’éloigner à tout jamais. Mais j’écris et ce faisant j’accepte je dois accepter aussi ce fardeau qui reprend nuit après nuit la même histoire bégayante à qui les mots cherchent à donner une épaisseur, à en sauver l’humanité.

Si je devais être fière d’une seule chose c‘est d’avoir eu la chance le courage l’envie de poser tout cela sur la table et tenter d’y mettre de l’ordre qui restitue au mieux ce qui s’est réellement passé. Pas forcément un ordre chronologique non pas forcément une histoire un tableau plutôt qui réunisse sous un même ciel d’orage toutes les batailles tous les chevaux les tanks les bannières les blessés les morts l’attente la souffrance et le deuil l’amour avant le massacre les chansons à boire les rires des beaux jeunes gens l’insouciance des vivants.

Mais les temps ont changé - a-t-on encore besoin de ressasser cela - il n’y a plus de guerre allons enfin plus de grands champs de bataille où le soleil de la victoire se lève à l’horizon plus de grandes chevauchées de sons de trompe d’oriflammes regardez plutôt nos villes de l’intérieur contemplez leurs entrailles les abords de leurs gares leurs quartiers excentrés leurs lèvres périphériques leurs mâchoires de parking les grands yeux borgnes des places centrales leurs chantiers inanimés le ciel au dessus de tout ça comme un grand drap blanc dont se vêtent les fantômes et ceux qui rêvent dehors dans la nuit. Alors j’écris pour tout cela peut-être si j’y arrive pour toute cette histoire qui se ramasse sur elle-même formant une boule dans la gorge qui m’empêche de parler. C’est cela j’écris parce que je ne peux pas parler.

4

Gavé de tous les biens de la terre et même rassasié, l’homme riche meurt, de la même banderille que celui qui n’a rien. Et si un tribunal nous jugeait : de vous à moi, au moins avez vous été heureux ? Que serions-nous capable de lui dire ? Et que dirons-nous à celui qui n’a rien pour le consoler de notre malheur commun ?

Le monde tressaille. La terre a parfois des hauts le cœur, des tressautements, de sourdes explosions qui délivrent des messages, des brûlures, des vagues géantes. Je suis très près de « la nature » que je ne comprends pas. Je suis très proche de la matière. Je voudrais que mes phrases aient le même élan que la rivière Vègre à Mondon, je voudrais que mes mots sachent prendre leur appui aussi profondément que la motte féodale de Brûlon conserve ses morts et ses merveilles, que mes vers soient ciselés comme les ruines célestes du château de l’Isle. Et que le poème nous soit contemporain, qu’il avance avec nous au bord du précipice, qu’il ait le même vertige devant les roses quand, au bord de l’abîme, il nous faudra des ailes.

Car il s’agit de prendre en compte le monde de Houston à Auvers, d’Abidjan à Pékin, de Bagdad à Bombay, de regarder le ciel, de compter les étoiles une à une.

Or le monde se partage entre les vivants, les blessés et les morts. Et c’est le même royaume.

L’amour est la grande affaire, qui nous ouvre le corps et libère dans l’esprit les beaux oiseaux de la philosophie. Alors on est plus prêt à affronter la chose.

Quand autrefois, nous regardions une partie du monde, nous pensions en voir la totalité et il nous paraissait complexe, mais cohérent.

Aujourd’hui que nous pouvons presque le voir en entier, il nous paraît en miette, et aucun fragment ne nous paraît utile pour reconstruire l’ensemble.

Pourquoi avons-nous cette vision de pare-brise éclaté ? Comment de séquence en séquence, le sens se déconstruit ?

Est-il raisonnable de se donner comme mission de reconstruire ce sens en repartant chaque fois du début en faisant défiler et en épaississant les choses, en les nouant à d’autres faits, à d’autres livres, à d’autres rêves ? L’histoire peut-elle s’écrire deux fois ? En revivant la vie rien qu’en imaginaire, est-il possible que les faits se déforment ? En rapatriant ce que ce monde était, vu d’aujourd’hui, dans son époque d’origine, l’aurons nous changé au passage ? Pourrons-nous mieux le saisir ? L’étoffe de ce que nous avons vécu, qui s’était dispersée aux 4 vents est-elle réversible ? Et le personnage en noir et blanc qui se repassait indéfiniment le même film dans la tête de ses 20 ans se la cognerait-il encore contre les murs ?

5

Quand l’étais petite, j’allais avec mon grand-père au jardin d’acclimatation, tout près de la plage. Au milieu des fleurs et des espèces d’arbres exotiques, il y avait un bonhomme de pierre qui regardait la mer. C’était un poète. Bien plus tard, j’appris qu’il s’agissait d’ Heinrich Heine. Il regardait la mer comme seuls les statues de pierre et les poètes savent le faire. Dans le fond, ils ne la regardent pas. Ils la laissent entrer dans leurs yeux, leur brûler la pupille, noyer sa houle dans les pulsations du cœur, mélanger l‘écume à l’amertume des jours. Les statues de pierre ont ceci de particulier qu’elles emprisonnent leurs rêves à l’intérieur, aussi imitent-t-elles tant l’humain au-delà de la vie même, au-delà de l’enveloppe charnelle, elles sont toujours vivantes face à la mer, échappant à tous les naufrages, oubliant jusqu’à leur sculpteur.

Et je savais déjà que pour toujours, moi aussi, je regarderais la mer.

La mer seule donne à peu près quand on la contemple le sens de la courbure du monde et les étoiles au dessus permettent de nous situer dans l’espace et dans le temps. Mais pas vraiment de nous situer.

Et dans les accidents et les éclats de la vie, je compris aussi que certains voyaient des choses que nous ne voyions pas, de la souffrance et de la barbarie humaine ou qu’ils les pressentaient. Si une princesse quittait ce monde, qu’avait-elle pressenti quand dans son cœur brûlait une musique de pleurs et qu’un orage tournait sans pouvoir éclater ?

J’admis que la poésie pouvait peut-être offrir cela, faire éclater l’orage, en faire voir l’éclair et planter cette lumière au cœur de la chose, alors il ne fallait surtout pas quitter le monde, ni jamais s’incliner devant les forces de la nuit.

Ainsi, très jeune je me suis crue poète.

Et j’ai aimé les nuits, belles et sombres,

où mon soleil brillait à l’intérieur aussi fragile

que les feux tremblotant des barques de pêcheurs,

Et l’air du large m’ouvrait sa porte,

Et je marchais seule sur les cordages du temps,

En m’éloignant j’espérais que la tempête se calmerait

et que le jour en m’apportant ses présents d’algues et ses odeurs salées

me déposerait sur la joue de la ville sans faire mal

sans que je crie sans que quiconque se porte à mon secours

sauf pour rire dans la vague

Alors pour faire venir le jour

Et dans le tintement de chaînes de la nuit

Je me disais des histoires

Ils devaient venir de loin

Ils naviguaient au fond du ciel

Leur bateau louvoyait entre les récifs et les étoiles

Des vents violents les poursuivaient

Mais ils n’avaient pas peur pour eux

Ils disaient n’avoir peur que pour moi

Ils regardaient, depuis là haut, le grand précipice de la mer

Ils me cherchaient des yeux

Ils avaient fait un très long voyage

Ils m’apportaient des idées nouvelles

Curieusement, ils parvenaient à descendre le long des grands bras de la nuit jusqu' au quartier du port d’où s’élançaient mes rêves

Ils étaient là

Je les sentais au bout de mes doigts.

Alors la vie pouvait commencer.

Et c’était quoi la vie pour ces pêcheurs de rêves qui marchaient sur les vagues ?une pièce de monnaie qu’ils remettaient en jeu chaque soir sur la table ? C’était quoi quand la mer cognait comme une folle et le cours du poisson les tirait vers le fond ?

Au milieu des coups, des bruits sourds, leurs grosses voix portaient au loin comme des sirènes et les phares de leurs yeux balayaient l’océan.

Buvons ! A la hauteur de leurs épaules et de leur chant eux qui incarnent si bien la condition humaine, sa grandeur, l’immensité qui l’accueille, son épouvante, sa chaîne secrète de la vie, le gouffre où elle surnage !

6

Les éphémères marchent le long de la mer. Ils ne peuvent s’éloigner de cet élément familier. Ils en connaissent les rochers, le frisson des vagues, la clameur. Ils en connaissent le langage, le rythme, le claquement de ses vers, son théâtre de brumes, la profondeur de sa mémoire.

Les éphémères ne connaissent pas la ville, ni le travail. Ils avancent simplement dans cet inconnu, confiants dans leur jeunesse.

Le port c’est un abîme de bruits et de songe de chaînes rouillées et d’air frémissant c‘est cet espace industriel que les oiseaux de mer respectent, le port et sa misère et sa grandeur et ses saintes Marie de la Mer et son goût puissant d’un ailleurs qui jamais oh jamais ! ne passe

Quand je reviens seule, ici même, après tant d’années à te chercher sur cette terre immense, quand j’oublie mon trajet, lorsque les mots de mon enfance crèvent sur mes lèvres comme des bulles de savon, quand je me regarde dans le miroir de l’eau, quand je parle à voix haute comme si tu étais là, que l’ombre ne t’avait pas encore embrassé, que tu n’avais pas enseveli ton souvenir sous la nappe de la vie,

je reviens vers le port, sa statue du départ, son phare qui nous appelle et nous prend par le bras, ses bruits de fonte et son cœur de cordage, ses lumières qui décrivent un chemin vers le noir, ses bateaux qui tanguent d’impatience, ses marins qui rentrent ou qui partent quelque part, et la mer, qui toujours fait la belle, et qui porte les remous de la houle sous nos pas…

Ils étaient là dans les bruits familiers de la fenêtre ouverte. Ils sont là dans mon cœur je ne les oublie pas.

Non je ne les oublie pas tous ces amis venus d’ailleurs que j’entendais respirer dans la brise ils m’apportaient le sel des langues lointaines aux beaux accents rebelles ils m’apportaient la connaissance des épices inconnues ils me parlaient de toi comme la fièvre je n’entendais que leurs yeux je les revois encore se glissant sous la lune leur ombre immense projetée sur la ville on aurait dit qu’ils marchaient sur la mer je ne les oublie pas ils sont en moi comme je suis dans ta peau avec l’or de mes bijoux dans ta lumière et j’embrasse le sable de tes mains

la nuit jusqu’au petit jour

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On ramène leurs corps infortunes de mer On les enterre dans le carré des indigents Un numéro sur la poitrine Alors je me réveille dans la nuit comme une enfant et j’ai soudain l’impression d’être revenue de si loin de quel côté du miroir de sable de quel miracle de quel autre moi-même de quel monde ?

8

Et moi je suis loin si loin de la mer des méridiens et des princesses des villes je n’entends plus ta radio tes chansons ton rire la fête de tes yeux tes vagues je ne vois plus tes cils comme des cordages

Je ne pose plus ma main sur ton corps ni ma voix sur ton cœur

Je ne mélange plus mes mots à ton souffle

la plage a disparu sous nos pas brusquement alors que la mer fuyait dans la nuit

J’ai parlé trop fort et mon cri s’est perdu dans l’espace

Je t’ai fait peur

Ici la plaine m’égare je ne reconnais plus le ciel je ne vois que son gris métal et ses moutons qui passent lentement

Je cherche l’été avec des mains d’aveugle je traduis les mots un par un en triant des aiguilles et en accompagnant des corps vieillissants près du puits je sépare les pierres usées du reste du tas de pierres et la nuit je t’appelle en scrutant les étoiles si je pouvais m’accrocher à leur échelle cosmique si je pouvais remonter lentement vers le ciel sauter dans leur chariot et prendre la voie express repérer ton visage à l’écume du jour et descendre en mouette jusqu’au port jusqu’aux fenêtres qui s’ouvrent sur un nouveau monde un nouveau monde un nouveau monde

9

Le nouveau monde existe. Mais il faut nous rejoindre. Je me cogne à toutes ces vitres écrans d’ordinateurs. J’entrevois des jardins, des instants de lumière, des rues animées où des gens s’engouffrent dans les cafés en riant, je ne fais que les voir, je ne les entends pas. Je suis comme enfermée derrière ces parois de cristal.

Incolores Inodores Indolores. La douleur est pourtant là de cette absence au monde de cette incapacité à le griffer à le mordre

Je les vois moi aussi et même je les entends. Certains lèvent le poing d’autres marchent en silence. Je ne sais où ils vont. Ils semblent marcher depuis si longtemps. Ils marchent tous les jours depuis que je les regarde depuis que je suis né et peut-être même avant. Certains soirs je croyais qu’ils avaient disparu. On voyait un soleil se coucher dans le désert. Et puis il y avait ce bruit de la marche qui reprenait. Plus je pense à toi, plus j’essaye de rassembler mes pensées pour t’approcher (dire à quelqu’un qu’on l’aime, c’est un peu lui dire qui on est), plus ils reviennent en masse toujours plus nombreux et ils marchent sans fin comme pour épuiser les nerfs de ma mémoire.

Les éphémères ne se voient pas encore marcher parmi ces ombres ces formes humaines qui semblent résister à l’histoire qui continuent d’écrire sur les murs qui parlent seuls qui parfois se réduisent à des sons des souffles quelques dessins des tessons de bouteilles un casque troué un amas de cheveux des ossements des livres du linge sur un fil le silence glacé de la plaine une cour de ferme une cloche d’église quelques oiseaux noirs qui survolent et tout cela fait foule au final du bruit des clameurs tous ces souvenirs des morts qui marchent parmi les vivants et leur parlent sans cesse et leur demandent de sauver ce qui peut encore l’être ils marchent pour leur salut celui des morts et celui des vivants pour que les morts ne soient pas morts pour rien et les vivants fassent honneur à la vie.

Les éphémères ne savent pas encore ce que c’est que la vie. Ils respirent joyeusement et cela suffit bien.

Et nous quand le saurons nous ? Dans l’enchaînement des jours où nous exécutons heure après heure ce que nous sommes, à quel drapeau s’accroche notre liberté ? Sommes nous là uniquement pour maintenir la locomotive sur les rails, incapables de faire marche arrière, asservis à ce chemin de fer, qui nous emmène à toute vapeur vers un mur de cendres, de marbre et de prières ?

Comment reprendre en main ce noir cheval en flammes ?

Comment lui redonner ses ailes ? Comment le faire sauter -un bond- au-dessus des barrières de la nuit ?

10

Derrière les ronces les fils électriques les barbelés

le monde avance en claudiquant

une femme vient vers nous

elle marche sur une route

sa voix tombe en poussière

à ses mains on accroche le chagrin d’une rose noire

Ainsi le sang inonde nos écrans de télé

24 heures/24

et nous cherchons encore

le sens de la vie ?

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nous marchons comme des automates

plus rien de fluide

les mots s’enlisent

Plus rien ne peut dire

le chagrin de ses mains

ce que l’étoffe de son regard abrite

la terre se résigne

une blessure porte son nom à la tête

le sang écrit les nouvelles du monde

des regards fusillent le ciel

du sable plein les poumons

on déchire des cartes postales

les lettres de guerre

la rue s’accroche à un soleil vivant

comme à un cerf-volant

Et pourtant le monde change explose devant nous à la télévision milliers de gens qui lancent des pierres des prières la liberté guidant le peuple les chars prennent position le peuple n’a pas peur il meurt il s’immole par le feu il danse de joie puis tout rentre dans l’ordre on compte les morts et les blessés ceux qui ont gagné les commentaires de toutes les capitales puis tout rentre dans l’ordre tout est à refaire encore une fois on n’en finit pas de commencer

Nos paroles sont incertaines savons-nous si l’on existe comme si nous n’étions pas de chaque côté du miroir que nous étions le miroir lui-même sa face la plus tranchante nous sommes le creux de la falaise rongée par la mer nous sommes ces inventions que l’on n’a pas trouvées ces chemins qui disparaissent sous la neige ces rues débaptisées nous habitons les mots la brume des marais nous sommes des souvenirs des ronds de fumée dans la légende des indiens

Nous somme ce monde qui voit mais ne peut plus agir

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Et puis,

il y a si proche de nous soumise à non enquête publique la dépose graduelle des paysages dans notre cœur le vert rouillé du coteau devenu inutile de la haie qui freinerait le progrès des bosquets d’arbres timides du travail continu des fossés sous le libéralisme des nuages nous sommes petits tout petits tout petits nos yeux voient grand plus grand plus grand que nous les paysages sont dans nos cœurs malades comme des cartes postales que nous n’avons pas écrites comme ces vacances qui ne furent que de brefs trajets dans des trains à vapeur comme ces guerres où nous n’avons su qu’apporter nos noms au monument les paysages sont là nous enveloppant dans leurs grands draps permanence et oubli des paysages de leur découpe de leur destruction présence violente de leur souvenir déchirure et beauté naturelle

Lui il nous avait appris à aimer le paysage tous ces chemins ces haies vives ces vallées ces anciennes fermes aux histoires extraordinaires qu’il nous faisait découvrir. L’horizon, comme ses années à lui jadis, était proche, on pouvait le toucher de la main, lui donner une petite tape amicale sur son museau. Au fur et à mesure que lui disparaît de notre champ visuel, on dirait que la terre a tourné et qu’elle n’est plus la même. Il n’y a plus que des buttes étrangères, des bois sévères aux arbres glacés, des clôtures, des barrières…Il n’y a plus les rosés dans les prés à portée de cueillette, la bonté des chevaux montant vers nous lentement en secouant la tête, ni la curiosité des veaux engourdis nous suivant du regard. Les engins défoncent le chemin sans dire bonjour écrasant les pauvres haies et les pauvres hères qu’elles abritent.

Seul un coq parfois relève le défi, défrayant la chronique

A la puerta del Sol et sur la place de catalogne

ils le relèvent le défi

milliers millions de jeunes

qui veulent configurer le logiciel du monde

Ça pousse ça chante ça réfléchit ça se parle

EL PUEBLO UNIDO JAMAS SERA VENCIDO

II y a beaucoup de fusées qui brillent dans la nuit

des rêves qui tournent autour de la terre

rouges comme des baisers

et un volcan brûlant qui danse sous nos pieds

Le monde avance en claudiquant

on accroche à son cœur une rose rouge comme le sang

le ciel se recueille

quelque chose passe dans le silence

de main en main

sur les portables sur le réseau public clandestin

Le monde au bord de sa réinvention

Il tourne de plus en plus vite

c’est une bataille pour le pouvoir

des idées des rêves contre l’argent

de l’humain contre l’ordre des choses

La jeunesse debout partout sur les places

où s’inventa jadis la démocratie

Au sud de la raison

sous le ciel bleu métallique

entouré par la mer qui à nouveau respire

La jeunesse debout

qui descend dans l’arène

ce sont eux les taureaux

libres d’Andalousie

eux les grecs anciens

des premières républiques

et leurs paroles

partout déjà

comme une traînée de poudre

13

Tu es enfin près de moi dans une bataille de cheveux blonds la nuit te ressemble qui nous emporterait Mais la bande passante continue de marquer nos cerveaux tout le bruit tous les échos un brouhaha d’otages images cadavres chantage Nous marchons comme des funambules sur les places de notre enfance Le ciel s’enfonce dans notre cœur je voudrais parler mais je n’y arrive pas j’ai l’impression de tomber ce n’est qu’un rêve et ça ne peut pas s’arrêter Nous sommes exténués sur une place de poussière l’eau se fait rare des hommes en armes passent à toute vitesse sur des pick up Les sirènes hurlent en permanence des incendies se déclarent des bruits assourdissants peut-être des bombes des obus des roquettes déflagrations tirs sporadiques rafales Une ombre semble envelopper le soleil A la fenêtre de notre amour, nous contemplons le désastre du monde et son gouffre d’étoiles.

Pourtant je sens que là et là seulement quelque chose peut exister que ta nuque blonde n’est pas un hasard ni la finesse de ta peau et si tes veines parlent pour toi que la lumière te traverse tu tiens tête à l’ombre et tu tiens tête au soleil rien ne peut te détruire ton souffle éteint les incendies inutiles les brûlures à n’en plus finir pour une seconde le monde te fait face et tu lui parles sans peur le monde à feu et à sang tu lui parles sans élever la voix juste avec le timbre de ta voix et c’est ainsi qu’il peut enfin basculer vers ce que nous cherchons tous depuis toujours esclaves de l’obscurité

Le match fut rude et laissa des traces que nous déchiffrons à coup de scanners d’IRM de prises de sang d’électrocardiogrammes le cœur a des soubresauts un rythme clinique des arrêts brusques et des courses folles précipitant la respiration le souffle contre la buée des vitres parler vite dans l’hygiaphone de l’histoire trouver les mots les ailes qui portent le message comme un papillon voyageur un cerf volant au dessus de la plage où marchent nos ombres décalquées au napalm sur les photos de Paris match

Il faut construire. Dès à présent sur des mots stables, partagés. Sur le lexique et sur la langue, sur le sens et la mémoire qui commence, sur notre peu de mots à parler après les conflits, sur notre chemin parsemé des cailloux du langage, sur notre destin funambule .Il faut sauter de métaphores en rimes, de paraphrases en syncope, de figures de rhétoriques en mots d’esprit comme on saute les ruisseaux. La vie n’existerait que par le récit de la vie.

Que peuvent les souvenirs les photos instantanées les reliques les lettres bien rangées dans le placard l’odeur de lavande imprégnant encore le linge le bleu intact du ciel que peut la permanence quand l’absence est définitive ?

De quoi sommes-nous faits ? De quel patchwork de songe et de conscience, de quelles coordonnées théohumaines, de quelle ADN de géant ou de nimbus, de quelle prophétie, de quelle hauteur, de quelle querelle, de quelle erreur, de quel fantasme, de quel projet, de quel laboratoire expérimental, de quel vaisseau spatial, de quel astre, de quel insecte, de quel mot prononcé par qui, de quelle vengeance, de quel cadeau, de quel bouleversement sommes nous le produit, l’enfant, l’avatar, avons plongé, chuté, échappé, rescapé, endoloris et étonnés par ces bulles qui pétillent en nous comme des sourires, comme autant de secondes crevant sans y penser la fine pellicule du temps ?

-Ephémère, nous sommes des éphémères !

-Cherche un peu

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Mon grand-père avait fait des films super huit. On y voyait ma mère qui jouait avec sa sœur et qui faisait des grimaces devant la caméra. Puis ma grand-mère arrivait apportant un gâteau. Parfois le film cassait. On avait installé la projection dans la grande salle. Un drap servait d’écran. On avait obstrué les fenêtres pour que la lumière n’entre pas. On regardait le passé dans le présent. Parfois un mort faisait un petit signe paisiblement à l’écran. Il aurait pu le faire dix mille fois si Pépé avait remonté le film de quelques centimètres. Puis ma grand-mère en vrai apportait un gâteau et c’était comme si nous étions revenus à la vie.

Pourquoi sommes nous brûlés, pourquoi avons-nous le sentiment d’avoir été abandonnés des dieux ?

-Tu lis trop de livres. Les dieux n’existent pas.

-C’est ce que je dis. Ne pas exister, le pire des abandons.

Nés sous X. Géniteurs inconnus. Reprenons le cours de la vie.

Oui Vivez Faites de projets Gagnez de l’argent Prenez le Pouvoir

En ce temps là, c’était facile. Il suffisait d’un peu d’idée, de chance, quelques mensonges pour s’asseoir sur un tas d’or. Et l’or suffisait pour avoir raison sur tout. La science, la peinture, la poésie n’y pouvaient rien : pas d’or, pas de vérité. Ceux qui essayèrent cependant, sans nom, sans couronne, furent empalés. Pour l’exemple.

Et quand l’or ne suffit plus, on trouva autre chose, de similaire. Et tout continua comme avant.

Ainsi va de l’homme. Depuis le temps qu’il sait et qu’il se le raconte qu’il le joue sur les théâtres qu’il le chante qu’il le danse qu’il le met en jeu sur des terrains de rugby qu’il le lit dans les astres qu’il l’écrit dans les journaux qu’il l’enseigne à ses enfants qu’il le médite le dimanche depuis le temps qu’il sait la part qui lui revient et celle qui ne lui revient pas depuis qu’il ne fait pas ce partage clair entre sa part d’ombre et sa part de lumière depuis le temps qu’il regarde la vie comme le torero dans l’arène et qu’il a encore plus peur que lui depuis qu’il s’est mis dans le cercle qu’il entend les clameurs et le taureau furieux et le doigt du soleil qui lui indique l’heure rien ne change les civilisations naissent se développent et meurent il en reste des souvenirs des signes sur le sable quelques livres écrits par des savants de belles cartes postales et l’humain doit se trouver une nouvelle forme sociale pour comprendre se justifier à ses propres yeux expliquer le monde donner un sens à ce chaos qui aurait commencé avant avant et qui nous engloutira peut-être c’est selon assez probable cependant mais quand ?

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Quand tout va mal, si vous avez l’angoisse baladeuse, il n’y a plus que les villes pour vous aimer.

Prenez la pas trop nouvelle pour qu’elle vous laisse une histoire à imaginer et laissez la guidant vos pas prendre le contrôle de votre errance

Entendez son bruit sourd. Admirez ses verres et ses cuivres, son haletante vibration, ses fumées qui demandent pardon, son enfer de lumières, ses néons qui se penchent vers des habitants imprécis, ses crimes de sang énigmatiques, ses voitures en apesanteur, sa tendresse de béton, ses hangars aux mains noircies, ses arbres prisonniers, ses limites incertaines, les traces d’anciennes barrières- la zone d’étranglement au delà des ceintures- la ville menaçante menacée, dernier jalon d’espoir sur la route de nulle part

Dans la ville qui m’aimait, juste au pied de la colline, face à la mer, il y avait une chouette maison. La plus chouette des maisons du quartier. D’abord elle était beaucoup plus haute que toutes les autres et c’était pour rire, juste une fanfaronnade comme si elle avait voulu montrer qu’elle pouvait voir plus loin que tout le monde, quitte à se brûler les yeux.

La maison surplombait la mer. Qui dira assez ce que mer signifie ? Ni la plage, ni les bateaux agiles, ni les monstres à moteur. Ni sa brûlure de sel, ni ses fonds douloureux, ni même son vent du sud meurtrissant la nuque fauve des palmiers, ni son rythme assourdissant, ses mouettes bondissantes dans l’azur, le blond désir de la peau dorée sur le sable : la mer n’est qu’imaginaire. A ceux qui l’aiment et qui l’aiment vraiment elle offre, sous son jupon d’écume, un monde à prendre. A prendre à bras le corps pour ceux qui la prennent au mot, à prendre à bras les mots pour ceux qui la prennent au corps. Nous fûmes de ces deux-là, incapable de choisir vraiment, entre la vie réelle et la vie rêvée, entre le sommeil lent qu’entretenaient les flots et les reflets rapides des bars à matelot.

La mer n’est que passion et déraison.

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Aimons-nous. La nuit au bord de la mer. Quand on n’entend plus que sa profonde respiration, que sa force, elle semble ne jamais s’épuiser, à rouler, monter puis descendre ses vagues, à courir de ses jambes d’écume le long des plages de galets, à mélanger le sel de sa chevelure à l’écorce craquelée des pins, à porter son parfum d’iode jusqu’aux jardins bleutés des villas. Je crois que je pourrais passer ma vie à l’entendre craquer ses phalanges puissantes puis murmurer à mon oreille, repartir revenir jour après jour, heure après heure, de la veille au sommeil, du crépuscule au petit jour, jusqu’au bout de mon souffle.

Entends, le monde revient, il gronde

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Ce siècle avait commencé par des chansons, ma grand-mère les chantait à la fin des repas. La vie était gaie même quand elle était dure, les beaux jeunes gens, insouciants toujours prêts à rire, à danser après la semaine de travail. Le monde leur appartenait. Il y avait de grands repas de fête où les familles et les amis se retrouvaient. On faisait selon ses moyens, mais la vie leur souriait et ils ne pouvaient imaginer la suite.La suite, on la connaît. L’horizon s’assombrit. On rit moins, on fait moins de fêtes. On se rassemble devant des monuments. On parle dans les cafés. On lit des journaux. Le bruit du monde s’amplifie. Notre église est trop petite. Le moindre vent nous fait frissonner. On rassemble les enfants autour de soi. On ferme les volets plus tôt. C’est moche. On attend la nouvelle. On espère qu’elle ne viendra pas. Et c’est parti pour quatre ans de malheur. C’était toujours la der des ders. Celle qui devait rétablir l’équilibre, faire taire les barbares ouvrir la voie au développement harmonieux, pacifié. Celle qui se justifiait car elle posait, pour toujours, les premières pierres du bonheur et donner un programme au concert des nations. Et puis dans le règlement de l’une, on y semait le germe de la suivante. Il y avait toujours un vainqueur et un vaincu, alors le vaincu voulait prendre sa revanche. Quelque part, ils voulaient singer les Dieux.

-C’est déjà bien de l’avoir compris, même après. Les Dieux ne l’ont jamais compris.

-C’est pour ça qu’ils sont éternels. Pour comprendre il faut mourir. Pour qu’un autre renaisse, lui passer le flambeau.

-Hum des mots, des maux

Un premier déluge de feu s’abattit sur la vieille Europe à fin de ces repas de fête. Elle en avait vu d’autres, mais cette fois, elle s’y était en quelque sorte préparée. Avec l’annexion des provinces françaises d’Alsace et Lorraine, les protagonistes de 1870 s’étaient planifiés une petite revanche. Notre monde était petit. Aujourd’hui, il est plus grand. Il est plus grand et mesdames et messieurs, si vous observez les foyers de tension dans le monde, vous serez surpris de la disproportion entre la dimension de ces foyers et l’espace de propagation de leurs incendies. Quand la musique s’arrête, quand la petite fiancée après un timide baiser sur la bouche le supplie de faire attention à lui, alors il faut partir. Mobilisation générale. C’est toujours le même principe : on part de chez soi, on est encore peu nombreux, mais on se connaît tous. On est comme le mince filet d’un ruisselet. Et on se rassemble, à tel endroit où on est encore un peu chez soi, mais il y a des nouveaux. Et on change peut-être de moyen de transport. D’abord à pied, puis en carriole, puis en chemin de fer. Et on se concentre. Et on est séparé. Il n’y a plus qu’un ou deux qu’on connaît. On est encore chez les vivants. Mais on ne le sait pas. On a vingt ans et les petites fiancées nous ont toutes donné un baiser sur la bouche et l’ordre intime de revenir « fais attention à toi ». Comment partirons- nous au front ? Les petites fiancées ne pensent pas encore à tout. Heureusement, il y les mamans qui savent (elles devinent) comment ça risque de se passer là bas, à l’usine à fabriquer les héros. Elles ont donné dans le paquetage, le personnel, celui qui nous relie encore à la vie, mais ils ne le savent pas, enfin pas tous, un peu de douceur, un peu de confort et de protection, un peu de chez soi, de quoi rester digne et conscient. Demain, mais ils ne le savent pas encore-ça les fera un peu plus souffrir-car ils ne pourront pas leur dire-« que nous ne pouvons faire attention à nous- ni conserver l’odeur d ‘un peu de chez nous-sauf quand on meurt-alors quand tout se brouille et que le corps dans un dernier soubresaut se remémore » Mais il n’est pas encore demain. Ils sont tous rassemblés, à rire et à chanter, à être grave, à avoir peur un peu, avec le cafard du pays et de la petite fiancée, tous de vingt ans -chaque armée de gamins qui n’avaient rien demandé-chacune du côté d’une frontière imaginaire-des pointillés sur du papier-qui plus tard sera matérialisée par une ligne de forts-défense encore plus imaginaire-un crime contre l’humanité-on les a appelés, on les a concentrés, on les a amenés, on les a écrasés : Vive La France ! Vive l’Allemagne !

Chacun aura son histoire, sa médaille, sa tombe, il faut se souvenir de chacun. Le monument aura eu ce mérite : chacun de nous aura pu lire au moins une fois son nom, quelque part dans les villages d’Europe. Nous sommes tous morts au moins une fois. Il ne faut pas oublier. Cette histoire n’est pas finie.

-Si j’avais été la petite fiancée, il ne serait jamais parti.

-Et pourtant j’étais à côté de toi près des Dieux. Tu m’aurais retenu ?

-Comment se battre sans la guerre ? Comment avancer, comment échapper aux

Dieux qui écrivent notre destin ?

A voir.

Les Dieux nous ont précipités dans l’Histoire. Sans nous donner les clés. Longtemps nous avons cru que nous ne faisions que les imiter. Mais nous pouvons faire à la fois pires et mieux qu’eux. Ils doivent même s’inspirer de nous parfois s’ils nous voient.

-Tu disais que les dieux n’existaient pas ?

-C’est vrai. Mais pour comprendre, parfois, c’est pratique. La poésie doit pouvoir inventer ses mythes.

Sur le grand terrain du monde, d’autres forces étaient aux prises. D’autres Dieux étaient à la manœuvre. Un empire s’écroulait et une aube radieuse semblait à portée de main. Il n’y a que les hommes pour croire au paradis et s’inventer un enfer.

-Encore un mythe ?

Mais bien réel. Les hommes ne font pas semblant ; Ils ne savent pas s’arrêter au symbole. Ils veulent aller plus loin. Souvent d’ailleurs, le symbole en découle, pas l’inverse. Ainsi peuvent-ils trouver a posteriori toutes les justifications à leur action.

-Et nous alors. Qui ne sommes ni des hommes ni des dieux ?

Attendez, attendez, vous êtres en construction.Work in progress. Paris ne s’est pas fait en un jour !

Et le monde alors, comment a t-il commencé ? Comment finira-t-il ? Car il faudra bien qu’il finisse s’il a commencé ?

Parfois, les étoiles entrent subrepticement dans ma chambre avec la lune, elles avancent en file indienne. Leur nombre est infiniment grand. Je voudrais les connaître, les appeler par leur nom, surtout les plus anciennes. Je voudrais qu’elles me parlent de la nuit des temps.

Pourrons-nous partager leur mystère de la chaîne des explosions ? Pourrons-nous comprendre de quelle chaîne nous sommes le maillon ? Ce théâtre où nous jouons continuellement la même scène, où les spectateurs qui vieillissent et qui meurent sont toujours là, où les actrices changent seulement de costumes et d’époques, l’amour, la guerre, le pouvoir, l’amour et quand on ressort, on est encore un peu dans le récit et dans le rêve.

J’aimerais être une actrice et traverser le temps en costume d’époque, toujours la même, jamais la même, j’apprendrais mes rôles par cœur, je jouerais sur la scène ma vie, rien que le récit de ma vie. Celle que je connais et celle que je ne connais pas, mais qui elle me connaît. Celle que montre le metteur en scène. Quand je n’arrive pas à dire certains mots, à faire certains gestes, je me dis que peut-être ce rôle n’était pas fait pour moi, que je suis là à contre-emploi. Le soleil et la lune sont mes projecteurs. Les quais sont mes tréteaux face à la mer. Le soir est un grand rideau rouge qui se lève après les trois coups. On ne l’a jamais vu ce brigadier qui frappe tous les soirs l’ouverture. Personne ne s’en inquiète. Jusqu’au jour où on ne l’entend plus.

Moi j’aimerais être un sculpteur. Faire surgir le vivant de la pierre. Faire une armée pacifique de porteurs d’eau ou de joueurs de base-ball. Faire des géants qui puissent toucher le ciel. Et des touts petits presqu’invisibles qui se cacheraient sous les fougères. Une armée d’observateurs muets, mais qui voient tout, qui s’en souviennent si jamais un jour quelqu’un parvient à leur glisser la parole. Ils pourraient raconter une histoire. Personne ne les croirait et pourtant ce serait la vérité vraie qu’ont vue leurs yeux de pierre et leur silence profond.

Quand je voyais une statue d’un dieu, je croyais que c’était le dieu. Je lui parlais et il me répondait. Mais il ne me parlait que de mon époque, une sorte de contemporain. Jamais, mais c’est vrai que je ne m’en préoccupais pas, il n’abordait quelque chose du passé. Qui se serait passé, mettons, il y a 5000 ans. Non, ils n’avaient pas de mémoire ou l’éternité, c’est un éternel présent.

-Pourquoi en parles-tu au passé ? Jamais nous ne reverrons l’olympe ?

-Sais pas. Depuis qu’on est ici, c’est le maître mot. On ne sait rien.

C’est ce que disaient au café les altermondialistes. Rien ne filtre vraiment des décisions prises au sommet. Les communiqués sont lapidaires. Personne n’y croit.

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200x sommet de Rome sur la crise alimentaire mondiale-des nouvelles –radio-TV-internet-podcast- D’ici 2030 si on veut mais seulement si on veut que des millions (mais si un seul ?) ne meurent pas alors il faut (il faudrait le faire, il faudrait le faire disent-ils) d’ici 2030 doubler la production alimentaire mondiale. MANGER QUOI, Milliards d’euros/dollars placés dans les aides subvention agriculture/beaucoup moins besoin pour nourrir la planète, c’est compliqué, qui doit aider qui ? Ce sont les riches qui décrètent Jérôme Kerviel s’éloigne tristement on ne mange pas des billets de banque (les jeunes femmes donnent de l’argile à leurs enfants) mourez mourez il en restera toujours quelque chose vitrine spectacle internet organisations internationales ONG people boat beautiful la poésie ne peut rien, qui a dit que la poésie servait à quelque chose et si elle sert à rien, alors ?

Les éphémères arrivent au congrès de l’OMC-sur leur tee-shirt et sur leur peau, ils ont écrit « We are éphemeres »……

The World Wide World est rétréci Il ne décolle pas il tourne sur lui-même pas si vite que ça à notre rythme Il nous doit beaucoup nous aussi nous lui devons beaucoup On est pas loin du divorce Les enfants sont grands maintenant Vieillirons nous ensemble ? Ni l’un ni l’autre ne voulons mourir Pourquoi alors nous tuer ? Dis qu’est-ce que ça veut dire : être humain ? Dans les débats les éphémères ne comprennent pas tout. A la manif avec José, il y a des paroles, des mots et des coups. Peu d’arguments sensibles, il faut, se disent les éphémères (il faut, il faudrait le faire), comprendre, aimer, comprendre, agir, aimer

A la fin de la journée, les éphémères sont parmi nous comme des messagers de l’instant. Fantômes de l’éternité, créatures pseudo-mythologiques, ils nous singent, presqu’humains. Ils sont notre reflet. Mais n’ont aucune prise sur leur destin.

Les éphémères voient le monde, mais ne peuvent pas agir.

Si éloignés des êtres supérieurs imposant les symboles de cette vie dont on connaît l’issue et dont on dispose selon sa fortune, son talent sa destinée.

- E-phé-mère-nous sommes des é-phé-mères !

-Ça veut dire qu’ils en ont rien à foutre de nous !

Au café du globe, les altermondialistes se sont regroupés atour des tables. Ils boivent du café, de la bière et commentent la journée et ce qu’en disent les journaux du soir et l’internet.

Ils ne sont d’accord sur rien, sauf qu’ils n’en peuvent plus de ce monde qui marche selon eux la tête à l’envers. Ils reparlent de la taxe Tobin, du poids de la bulle financière sur l’économie réelle, de l’impact des échanges mondiaux sur le climat, du scandale de la spéculation sur les produits alimentaires de première nécessité, du commerce équitable, de la folie de l’argent et de la pesanteur des Dieux Euro et Dollar sur les rapports humains, de la construction d’une vraie gouvernance mondiale. Ils ne savent pas par quel bout commencer et se déchirent là-dessus. Faut-il commencer par construire la cabine (la cabane) de pilotage ? Faut-il que tout soit précédé de révolutions sociales domestiques ? Faut-il d’abord (urgence) un moratoire sur les aides que les pays riches accordent à leur agriculture ? Cette transformation se fait-elle par la force ? Doit-on avoir une stratégie des alliés ? L’Europe est-elle capable de montrer l’exemple ou il n’y a rien à en attendre ? Ces organisations internationales préfigurent-elles le gouvernement du monde ou sont-elles à abattre car elles ne sont qu’un outil aux mains des puissants pour asseoir la financiarisation de la planète et asservir la politique à l’argent ? Les altermondialistes peuvent parler des heures comme ça, dans plusieurs langues, mais surtout en anglais.

Un italien très gentil traduit pour les éphémères. Ils ne comprennent pas tout. Ils écoutent. Ils boivent la bière et le café et mangent une glace. A la pistache. Made in italy.

-Au fond tout le monde veut la même chose !

Les conversations se sont soudain interrompues-certains ont un petit sourire en coin, comme pour dire « ma vieille, si tu savais ! C’est pas si simple » Le brouhaha reprend comme une formidable clameur qui précède, puis accompagne le grand roulis du monde.

Les éphémères sont un peu déçus. Ils voudraient bien partager les préoccupations des altermondialistes, mais ils aimeraient que les altermondialistes s’intéressent aussi à eux.

19

Ils marchent lentement en se tenant par la main dans la nuit. C’est une de ces nuits très douces à Rome comme en connurent les antiques. La même nuit scintillante, malgré le réchauffement climatique. Alors on sent qu’on n’est pas tombé de la dernière pluie. Les éphémères savent-ils qu’ils vivent quelque chose d’aussi fort que l’ont vécu ceux qui inventèrent les dieux (en leur donnant une couleur locale). Savent-ils qu’ils sont finalement chez eux après une si longue absence ? Et s’ils n’étaient finalement que tombés du lit ?

20

La terre ses ondulations son rythme de fossés de champs ouverts sur le ciel ses terrasses brunes ses tapis verts ou jaunes selon l’œil des saisons son mouvement d’horloge lent solennel son église intérieure dans la brume d’automne douce comme un miel d’abeille je te reconnais là mon pays que je n’ai pas eu je suis assis sur ton ventre lourd j’entends le battement de ton pouls je sens la chaleur de tes paumes je file sur le ruban gris de la petite route mouillée Je revois les bosquets dans les phares les petits bois les croix des chemins montois les calvaires fleuris à l’angle des carrefours les chemins de ferme les bâtisses au fond du paysage les moulins cachés sur la rivière tous ces secrets enfouis dans les pierres tous ces mots qui gardent leur mystère ces élans ces départs du cœur mon pays que je ne connais pas tu es lent et seul et portes de multiples visages de l’automne à l’été un long passé de cicatrices dans les haies dans les labours dans les granges dans les étables je t’entends mon pays qui n’est pas le mien ruminer l’herbe de ta pensée je t’entends remuer l’espoir tous les matins s’entourent d’un halo de lumière tous les matins brillent de mille feux quand le soleil accrochant sa barbe à la cime des arbres escalade le ciel comme un dieu

Nous n’avons même pas eu le temps de nous pencher sur les saisons. Elles mériteraient pourtant qu’on les chante. Peut-être l’avons-nous fait un jour et ne nous en souvenons plus. Elles étaient au nombre de quatre, bien que le temps jouât parfois au dessus d’elles et s’amusât à brouiller les cartes : aussi il y avait parfois plusieurs hivers, des gelées tardives et un redoux qui semblait par avance annoncer le printemps, un été de la Saint Martin chauffant les roux de l’automne qui pouvait sangloter en juillet, mais dans l’ensemble les saisons se respectaient et jouaient, allegro ma non presto, leur partition au rythme précis du violon.

Je les aimai, car elles prenaient au vol la pulsion du temps, ce dont nous sommes faits. Elles tournaient comme le monde, comme un tas de planètes et comme un tas de gens, en rond, depuis des lustres et sans que cela ait beaucoup fait avancer la cause. Quelle cause avons-nous défendu depuis que nous occupons ces lieux des bords de Vègre, des grottes de Saulges ? Si peu de temps, 400 000 ou quelques années depuis le début de ces âges de pierre, puis de bronze, puis de fer, ces souvenirs inscrits sur nos bifaces, sur nos bijoux en os, sur nos céramiques, sur la teinte de nos joues, dans nos chants oubliés, sur notre écriture intérieure, la poésie de nos dessins sur les murs, la confusion naïve de notre société et de la création, la terreur surgissant de la conscience de l’affrontement entre notre bénédiction et la malédiction, l’infini de notre intelligence se butant aux murs de la caverne du monde comme une chauve-souris, qu’avons-nous réellement appris et quelle leçon de choses pour les éphémères ?

Il nous reste que le chant comme le rossignol et avec moins de capacité à émouvoir, avec moins d’évidence.

Les saisons avançaient comme des chevaux de bois, amenées par les gens du voyage, clandestinement dans leurs roulottes. Elles se posaient sur la place et lentement commençaient leur farandole. J’en aurai perdu tous les souvenirs, tous les jours de l’éphéméride, tous les mois du calendrier. C’est l’automne qui me revient le plus avec sa veste de velours brune, avec ses livres de poème ses Verlaine, les Cocteau que j’aime et l’octobre incarnant l’éclat.

J’aime les ciels sans fin les nuages qui tremblent toutes les nuances de gris la cantate de la pluie j’aime son reflet sombre sur la plaine j’aime les haies lointaines qui me rappellent ma timidité ce n’est pas moi qui parle rappelez vous ce n’est pas moi c’est par ma bouche un peu de vous les champs humides et clos qui en fin d’automne s’offrent aux brouillards sans pudeur sans retenue

n’abandonnez pas la plaine ne soyez pas sourds à son appel immense elle vous connaît avec son dos d’arbres abattus ses sillons comme des cicatrices ses images de sang et de feu la terre ce n’est pas la guerre et elle en a vu pourtant et tôt ou tard elle nous absorbera comme si elle était l’enfer

n’abandonnez pas les forêts leur grand silence qu’écorche à peine le jeu du vent dans les faîtages prenez part au chagrin des écorces à l’espoir des jeunes pousses à l’amour des feuilles mortes

n’abandonnez pas la rivière dont le courant écrit le bref passage du temps sur la terre

ne méprisez pas l’hiver saluez la neige et la glace entassez votre lot de froid dans le cœur quand vous le brûlerez un homme sans doute en réchappera

Ne vous laissez pas avoir par les images de la poésie ni par d’autres quelles qu’elles soient et il en est de pires restez lucides au milieu des villages restez lucides près de vous-mêmes restez solide comme un arbre comme le cèdre de Poillé ou le séquoia de Brûlon

Restez debout je vous parle d’un pays que je ne connais pas pardonnez moi pardonnez moi

Je suis venu après avoir fait un immense détour j’avais rêvé de toi j’avais cru marcher le long des berges une valise à la main une fille devant moi comme une ombre j’étais passé en stop dans le camion la pluie devant nous continue sous les phares venant de Nantes et allant sur Rouen vers Marc Henri Bob Dylan cherchant un peu de sens à la vie et avant Nantes Bordeaux Agen Toulouse Montpellier Nîmes et Marseille furent des jalons de veille sans sommeil je recolle à ces années sans avenir où ma raison partait en fumée un jeune homme face à la Joliette qu’avons-nous fait de notre jeunesse mon dieu qu’avons-nous fait nous voici presque raisonnable à exercer notre pénible métier d’homme responsable cherchant la lune et le midi à 14 heures et nous sommes bien vivants concrets penseurs ayant construit notre vie si pleine d’incertitudes si pleine de présences/absences de souvenirs qui nous tannent sous la peau nous survivons écrasés par le monde

21

Nous approchons du fleuve. Il fait soudain plus frais. Entends-tu son remous ?

C’est l’antichambre de la mer. Le fleuve descend de la montagne se répand dans la plaine et se donne à la mer. Toute sa source, du plus profond, ne prend son inspiration que pour se jeter dans la mer. Comme l’amour se jette dans la vie.

Il donne sa puissance à la ville ; Il paraît ordonné par ici, il expose ses remous, sa voix forte de montagnard, son caractère lucide et trempé, il sait ce qu’il veut et où il va, et si sa passion le guide, il ne se laisse pas emporter, il parle aux rives, donne ses injonctions, installe son souffle dans la cité. Aussi, il peut inspirer les hommes. Ils feraient bien de l’écouter.

Ecoutons-le !

« Je suis le temps qui roule entre les lèvres, je suis la parole absolue. Je suis une clameur, je charrie l‘argile et l’or. J’ai une origine, un nom, un débit, un caractère. Je suis indomptable. Mon cri est une immense chute, ma vie rien qu’une goutte d’eau. Mon souffle vient des hauteurs, mon intransigeance de la montagne. Je veux bien aider les hommes, mais ne suis pas leur esclave. Je construis le paysage. J’amène l’eau à la ville. Je suis conscient de ma force. J’en use, mais n’en abuse pas. Je suis un gardien du temps. Mes flots colportent des paroles. Je roule comme un bison vers ma barrière d’écume, je souffle à plein naseaux, je défonce mon pays, j’envahis mes prairies et les rues des villages, puis je baisse d’un ton, je reviens tête baissée vers le lit conjugal, je coule à plein poumons, et je parle. Je reviens aux ancêtres, je suis à la lumière, je vous parle des rives. De la vitesse de l’eau. De mon cours sauvage. De leur humanité. Ils n’ont jamais eu vraiment peur de moi, mais ils me respectaient. C’est ce que j’attends, qu’on me respecte. Comme je les respectais eux malgré leurs attitudes ridicules. Leur gouvernement et le reste. Leurs armées de folles, leurs esclaves et leurs empereurs itou !

Je prends toujours naissance au même endroit malgré les mesures, là où le coup de rein est nécessaire pour jaillir en surface. De cette profondeur, j’aperçois (l’imagination !) le royaume des morts : et d’une simple pression, je parviens à la vie le temps fugace d’un voyage entre les cimes et la mer, de quelques kilomètres d’altitude jusqu’au niveau zéro, en sculptant des paysages, en arrosant la compagnie. Je naïs, je vis, je meurs, dans la même seconde. C’est pourquoi je passionne, que je reste un mystère. Alors même que je me dissous dans la mer, bavant contre les courants, et que nos poissons se mélangent, je coule devant vos yeux sous le pont de l’enfance, et au même moment, si vous êtes capable de me tenir entre vos mains, je nais dans un buisson de gouttes, près des sphères glacées. Et c’est toujours moi, sous le même manteau qui s’écoule. Ceci est la première leçon. Mais j’ai bien compris, petits malins, que ce n’est pas cela que vous attendiez ». « Alors, je vais vous dire autre chose. Parce que c’est vous. Et que vous ressemblez encore à des enfants !

Cela se passait, il y a 2761 ans… ».

Les éphémères écoutent le fleuve et ses récits légendaires. L’histoire est belle, même s’ils en rient tant elle est arrangée. Ils ont l’impression que c’est toujours la même, la geste de ce héros, les colères divines, l’amour, la haine, la fondation des villes, le début de l’Histoire. Et nous, et nous, et nous ?

Elle a froid.

-Rentrons, fait-il.

22

Les éphémères rebroussent chemin en silence le long du fleuve. Ils sont dans le monde, ne le maîtrisent pas. Ils n’ont guère de repères, aucune certitude. Ils portent simplement un récit, quelque chose à raconter. Par leur destin, ils commencent à se rapprocher des hommes. Dans leurs poches, les étoiles scintillent.

23

A midi, le soleil fait une pause et les toise de toute sa hauteur. Un seul rayon pénètre à la verticale dans leur crâne et creuse un infime trou comme une tête d’épingle. Dedans, il y verse sa lumière qui peut soit les brûler, soit les guérir. Définitivement. Les éphémères côtoient des forces qui les dépassent. Insouciance de la jeunesse. Ils croient que tout est possible. Comment ne pas les décevoir ? Comment les aider à naviguer dans ces eaux troubles ? Ne leur devons-nous pas cette solidarité des gens de mer dans les revers de fortune ? Qu’avons-nous à leur dire pour leur salut ?

Oui que pouvons-nous dire à ceux-là ? Que savons nous au fond de la vie, nous qui ne nous rappelons même plus être tombés du ciel ? De quelle expérience vieille de moins de 100 ans pouvons-nous nous prévaloir auprès de ces jeunes gens millénaires ? Notre savoir, notre culture, peuvent nous aider et aussi nous empêcher d’accueillir ce que nous ne connaissons pas. Quelle nouveauté apportent ces Giovanni ? Quelle espérance et quel territoire désespérant dévastent-ils ? Sont-ils des familiers de l’aube ? Couchent-ils avec Vénus, dans la grange aux étoiles ? Quel flamenco coule dans leurs veines ? Quel point d’interrogation sertit leur voix ?

24

Les éphémères rentrent de Rome vers Paris par le train. A la gare, il acheté le livre de Virgile. Il lit et se récite à nouveau le récit légendaire de la naissance de Rome. Comme un raccourci de tous les mythes. Comme la simple explication de tout sur le même mode. Mais dans le train il y a des savants professeurs. Et la conversation s’installe entre la poésie et la science.

« Depuis toujours, chacun voudrait comprendre le sens de la vie, le sens de sa vie. Tout un chacun. Et pour commencer, qui nous a mis là ? Qui nous a fait tombés de haut en bas ? Où pourquoi de rampants, nous nous sommes mis debout ? L’histoire de l’homme et avant lui. Et chacun vit et meurt en sachant qu’il ne le saura pas. Puis recommence. Et meurt. Passe à ton voisin. Un autre. La chaîne. De l’évolution. Plusieurs écoles. C’est très compliqué. On ne sait pas. Essayons. Les poètes contre les scientifiques. Les poètes avec les scientifiques. L’intelligence si vive, si « no limit » et la nuit qui tombe comme la mort à l’hospice à six heures. Les mêmes gens. Vieillir, mourir. Et les éclats de la jeunesse. Parlons des étoiles. Des trous noirs. De la matière profonde, sans esprit et pleine d’énergie. L’homme n’est pas qu’un être social. Hein ? Il vient de ces ondes, de ces explosions, du magma, pas seulement du feu, mais de ce qui brûle, des atomes, des réactions, des catastrophes ultraviolettes, il vient de sa propre ignorance et doit faire le chemin inverse pas en ramassant les pierres du petit poucet, mais en les découvrant et au final en inventant le petit poucet. »

Le Viel homme rit devant le regard ahuri de nos deux éphémères.

« Vaste programme » ajoute-t-il. D’où venez-vous jeunes gens ?

Les Ephémères éclatent de rire : « Si on savait ! »

Et bien, je vais vous le dire. Et le Viel homme attrapant sa thermos leur propose un café.

-Oui, disent-ils en chœur.

-Bien, j’ai trois tasses.

Le café bientôt fume dans les tasses en plastique, le train vient de démarrer dans un grincement aigu de roues. Adieu Rome, Adieu l’éternité.

Les Ephémères se sont bien installés, tout contre l’un de l’autre. Le vieil homme sourit à leur amour. Giovanni ! Puis il commence :

« Au début, au tout début, je veux dire au tout début de la connaissance (c’est donc très récent, il ya 5000 ans), l’imagination pourtant puissante des philosophes voyait une terre sphérique au centre de l’univers. Cet univers était confiné. Et avec la progression de la science, peu à peu cet univers s’élargit jusqu’à arriver à la dimension extraordinaire du système solaire. La terre n’était plus qu’un élément au sein du système solaire, mais si singulier, qu’elle pouvait en revendiquer le centre sinon physique, du moins culturel et…scientifique ! »

Tandis que le train prend peu à peu de la vitesse, fuyant la banlieue de Rome, les éphémères, d’un même mouvement secouent leurs membres engourdis et reprennent leur position attentive.

« Tout notre système de pensées, nos représentations, notre art, nos Dieux se sont construits sur la base d’un univers fini, plus ou moins grand, quand on le mesure du centre à la proche banlieue, et dont nous étions le sujet principal. Si Dieu existait, c’était pour s’intéresser à nous. La connaissance faisait de nous des prisonniers d’un monde clos, même très vaste, avec des hauts-murs, des interdits, des impossibles. Ainsi nous étions des hommes limités, même avec une super puissance de l’esprit, mais avec les interdits qui nous empêchaient de voir plus loin que nous-mêmes et avec toujours la même histoire : on veut péter plus haut que son derrière ! Cela a bien changé ! (rires). Tout le monde sait que l’univers est en expansion depuis le commencement. Que les étoiles fuient, que le temps est une sorte de fenêtre au travers de laquelle j’assiste au même moment par les outils puissants de l’observation, à la naissance et à la mort d’un même objet de l’univers. »

-Et il finira ?

C’est lui qui a posé la question. Elle a sursauté, un peu choquée par la violence de son intervention.

-Ca …

Le savant n’est pas arrivé au bout de l’histoire, ni de ses réflexions. Tout ce qu’il dit n’est qu’hypothèse, aide à oublier l’essentiel. Qu’elle a compris, même si elle n’a pas tout ce bagage pour faire face à la question.

Une petite mouche est entrée subrepticement dans le compartiment, intéressée par le sandwich au fromage qu’un voyageur a commencé à déballer. La mouche s’approche, fait de grands zigzags dans le compartiment, se rapproche du sandwich, s’éloigne à nouveau, brusquement elle tombe, morte de fatigue. Plus personne ne parlera d’elle.

Sic transit gloria mundi.

Le train file à belle allure sur les plaines de l’Italie, le paysage semble s’enrouler autour du train comme une écharpe qu’on pourrait emporter avec soi en souvenir.

Les éphémères sont fatigués, ils baillent aux propos du vieux savant professeur qui sourit. Ils s’enveloppent dans l’écharpe du train, des paysages à toute vitesse, de la lumière de Rome, de la métaphysique du monde. Leurs bouches tètent une louve imaginaire. Le professeur se lève pour détendre ses jambes dans le couloir. Le train hurle à la mort. Les éphémères sont passés de l’autre côté et dorment à poings fermés.

25

Paris, ville Lumière.

Les éphémères circulent à présent au milieu de la multitude comme si une houle les faisait toujours rouler un peu plus loin. Ce sentiment d’être bercé par la mer, de suivre un courant invisible et très fort, ces aimants qui semblent encore s’accrocher à leurs ailes, cette sensation agréable, somme toute, de flotter dans le temps qui défile à toute vitesse de l’autre côté de la vitre, les anime depuis toujours. Ils sont constitués de cette étoffe invisible aux autres hommes qui les rend moins solides, moins sûrs d’eux, moins entreprenants. Leur voix mêlé de vent, leurs gestes inachevés, le faible contact de leurs membres avec la terre les rend parfois improbables. Peu visibles à la ville, ils n’existent pas à la scène et ne jouent leurs rôles que pour eux. Ainsi, ne sont-ils pas réellement les bienvenus. D’ailleurs qui pourrait bien savoir d’où ils viennent et qui ils sont. Sur leur passeport qu’ils présentent aux gardes mobiles des frontières, on ne voit pas bien leur identité et les photos sont floues. Comment expliquer en trente secondes qui on est si l’histoire dure depuis des millions d’années ?

Les éphémères admirent la ville lumière. Ce qui est étrange c’est que de toute éternité, ils ont su admirer la beauté. Cela vient peut-être du souvenir de l’Olympe. C’était beau, pensent-ils. Trop beau pour nous, soupirent-ils.

Paris choisit pour eux ses plus beaux colliers de lumière. Paris se sait admirée et aimée. Alors elle les invite à parcourir ses ponts, à regarder ses perspectives, à observer la Seine qui lentement s’efface et puis revient, à se planter devant des façades sublimes, puis à errer dans ses rues populeuses, à s’engouffrer dans les bistrots boire un verre sur le zinc, à aller au ciné, et à marcher sur les quais, sur les boulevards, sur les places et dans les jardins tant Paris est sûre de les enchanter.

Les éphémères se laissent aller à vivre, ils chantent dans leurs têtes, des airs de soleil et de méditerranée. L’univers est le monde, le monde est la ville et la ville c’est eux qui l’habillent et la coiffent comme une jeune mariée, comme si c’était le plus jour de sa vie, une beauté radieuse disant oui à la vie et au chemin de roses.

Alors ils s’approchent de la cathédrale. Sur le guide qu’ils ont acheté, c’’est le monument de Paris le plus visité. Eux aussi veulent y aller.

Comme proposé sur le guide, et pour être plus sûre, elle dépose par Sms une intention de prière. Il s’est moqué d’elle, eux qui n’ont plus beaucoup de raison de croire aux dieux. Et elle répond, mutine : sait-on-jamais ?

Sur la Seine, fleuve tranquille, l’île de la cité ressemble à un bateau dont la cathédrale à la poupe tient fermement le gouvernail. C’est l’âme de Paris, c’est son cœur, c’est sa quille. Les éphémères arrivent par la façade ouest et se tiennent devant cet édifice qui les impressionne autant qu’il les émeut. Ils remarquent l’allégorie des carrés et des cercles, du lien entre le monde terrestre et celui du ciel, cela perturbe un peu leur vision des choses.

Ils ne savent plus vraiment qui ils sont, d’où ils viennent, où ils vont. En façade, la cathédrale leur parle une langue étrangère. Elle ouvre le guide et elle lui dit : entrons !

A l’intérieur, on peut choisir ses symboles. sa langue, sa croyance. Bien souvent, il suffit d’entrer. Elle en a le souffle coupé.

Elle a l’impression d’embarquer dans le navire spatial qui la ramènera chez elle, du côté de l’Olympe. Ou ailleurs après tout, on est partout chez soi où on est bien avec ceux qu’on aime et qui vous aiment.

Comme par un aimant, elle est attirée par les vitraux des trois roses et ceux du cloître, plus accessibles. Au sentiment de la beauté, innée, elle voudrait ajouter quelque chose, plus social, plus construit, afin de raccourcir la distance qui les sépare de leurs semblables si différents : Elle comprend Geneviève, la grand-mère de Paris, morte à 82 ans et qui intervenait chaque fois que Paris avait un souci. C’est pas compliqué, il suffit d’un peu de talent (ou d’être astucieux) et de beaucoup de générosité. En cela les éphémères pourraient bien être humains. Elle s’interroge face à l’autel, ne comprend pas bien ce meuble moderne en bronze avec des hommes représentés qui focalise toute l’attention. Les Dieux, il n’y a pas de quoi en faire tout un fromage, soupire-t-elle.

Ils ont intériorisé beaucoup de choses. Lui a pris des photos. Ils voudraient acheter des cartes postales. Qu’ils montreront à leurs enfants plus tard. Ils vont quitter ce bateau. Il se fait tard.

Dans une chapelle très près de la sortie, leur attention est attirée par un groupe d’hommes et de femmes encore très jeunes, avec des enfants, des bébés qui semblent apeurés, recroquevillés sur eux-mêmes comme s’ils avaient du affronter la colère des dieux. Un sentiment d’appartenance traverse les éphémères, comme si ces personnes étaient plus que des frères, une partie d’eux mêmes. Comme s’ils avaient retrouvé un bout des habitants de ce royaume dont ils n’étaient pas dignes. Ils s’approchent et soudain

Un bruit de bottes des cris les éphémère ont juste le temps de se dissimuler derrière un pilier d’où ils voient toute la scène La police est entrée dans l’église et entoure le groupe de réfugiés et les oblige à se lever les hommes les mains sur la tête Ils commencent à les faire sortir dehors des manifestants des passants invectivent la police qui se fait menaçante les malheureux sont répartis dans des cars de police qui démarrent en trombe précédés de motos sirènes hurlantes la scène a pris moins de 10 minutes les sans papiers sont embarqués vers quelle destination

26

Les éphémères sont sonnés par ce qu’ils viennent de voir. Ils marchent tête basse en se tenant par la main. Paris leur a menti Paris n’est pas que lumière. Ils soupirent. Ils ne savent plus trop où aller. Ils ne savent plus trop quel sens donner à ce voyage. Zone de transit. Frontière. Papier. Identité. Les mots tuent comme des balles réelles. Les éphémères sont entre deux mondes celui dont ils sont tombés et celui qui ne veut pas d’eux. Ils s’étaient habitués, mais ils commencent à avoir peur. Leur cœur bat très fort comme celui d’un animal traqué. Le stress qui les envahit leur empêche toute lucidité toute réflexion ils ne peuvent plus parler. Ils cherchent instinctivement et désespérément un refuge mais ne retrouvent plus leur chemin.

Epuisés, ils finissent par descendre au plus près de la Seine et ivres de fatigue se couchent par terre et se roulent en boule sous le pont Mirabeau leurs yeux s’éteignent en croyant s’endormir.

Dans ces temps où le monde vacille

sur ses bases incertaines

et les forces se comptent

et se reconnaissent

où elles ne s’attendaient pas

au milieu des clameurs et des larmes de désespoir

quand les états avancent reculent

et ont du mal à retenir leurs chameaux diplomatiques

et les dictateurs inconscients abusent d’un pouvoir

qu’ils n’ont même plus

prêts à dissoudre leur peuple

et diluer leur chair dans un puits de sang

les hommes ont pris le devant de la scène

ayant prié les stars les ayatollahs les cadors

de reculer sur les côtés

car on ne joue plus

on vit

et à ce jeu mieux vaut connaître les règles

et les nouvelles lois

qu’ignorent feignent d’ignorer

polices armées milices

qui en veulent à la jeunesse

qui aime comme elle meurt

un doigt sur la gâchette

les lèvres sur le cœur

ne soyez pas martyr

gagnez la guerre

avant qu’elle ne vous perde

et vous peuples du passé

vieil Occident avec toutes ses dents

souvenez-vous de Guernica

rappelez vous ce que vous avez perdu

en oubliant le combat

contre l’ombre

en ayant méprisé la lumière

du taureau

qui narguait seul

debout

les nervis de la mort

En ces temps nouveaux incertains

pleins d’espoir

et de risque

comme toujours le furent les aventures humaines

les plus belles

nous avons besoin de conscience

et de lucidité

et nous devons comprendre qui nous sommes où nous allons d’où nous venons ainsi qu’il est bon que chacun le sache

afin d’être un homme/une femme

de passage sur la terre

et qui laisse

aux autres

un grain de poussière plein d’amour et d’effroi

« Le privilège des morts

c’est de moisir à plat »

Ne moisissons pas assis à une table

où on négocierait sans l’honneur

sans le visage clair de la vérité

sans les rires joyeux de la jeunesse

et sans le sage amour des femmes

Si l’histoire ne repasse jamais les plats

en cuisine on s’affaire

et on mijote de sacrées cocotes

qui explosent sur les chemins de liberté

Le monde avance en claudiquant

Césars, on vous jette à la porte,

N’avancez plus, ne tirez plus, vous êtes morts

les hommes et les femmes marchent sur le tapis du désert

il vole au dessus des villes

on tire sur les étoiles

lune et soleil halètent

l’ONU réfléchit

les peuples autour du monde ont pris leur parti

la liberté se boit pure, un peu frappée

de Dunkerque à Tamanrasset, de l’atlantique à l’Oural,

du Maghreb au Machrek

et de Brixton à Mers el kebir

La liberté

n’a pas de prix

n’est pas à vendre

contre des chars et des missiles

contre remparts aux extrémismes

contre la paix civile si vile

La liberté

Ah…vite !

Les éphémères voient le jour se lever et le soleil entrer sous les paupières. Les oiseaux du matin chevauchent des nuages. Les arbres se dressent contre le ciel. La mer se découvre, le jour entre en eux comme une grande voile blanche. Ils sentent le vent sur les joues, les poumons se gonfler. Ils flottent comme des ballons au-dessus de la mer, le sel imaginaire leur vient en aide, enfin qu'une histoire commence, la naissance d'un fleuve, ou le rythme d'un tambour, la parole aux grains de sable, commencent les éphémères à dévider leur soif, les mains sur le corps, ils prennent naissance et dans un cri, leur conscience effleure la lumière, une étincelle vite ravalée dans le mouvement des larmes, jeune homme, jeune fille, vous voilà au bord du gouffre, deux héros, deux enfants, au départ de nouvelles conquêtes, de nouveaux commerces et la mer se déverse en vous comme une marée de fête...

Les éphémères se tiennent par la main

Ils contemplent la mer

Ils chantent

Bernard Gueit

(dans les années 2000)

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