Voici Toulon dont les maisons italiennes alignées sur le port nous apparaissent peintes de mille couleurs, dans tout l'émerveillement du couchant. Derrière nous, le soleil teint de sang la tôle des cuirassés qui fument paisiblement dans l'ignorance des guerres. Le Mourillon s'allonge vers son cap vermeil, les jetées de la rade se dédorent par degrés, les balises mènent une valse lente dans les eaux plaquées de rouge, le sémaphore de Sicié se précise au sommet de sa colline brune ; et, derrière la ville, la muraille du Faron, couronnée de forts, bleuit et se violace. Les rocs prennent des transparences de saphirs ; le Coudon élève plus haut vers le ciel sa longue vague écumante qui ne déferle jamais. J’atteins le débarcadère, […] j'erre sur le quai, rempli du tumulte des cols bleus qui s'empressent vers les dernières vedettes. Je regarde d'un côté les bâtiments blancs de l'arsenal, de l'autre les vieilles maisons du port. Le désir me saisit de courir par tous les quartiers pour revoir d'un seul coup tout ce qui m'a jamais charmé dans Toulon, pour posséder entièrement cette. femme insouciante qui s'étire comme une odalisque alanguie dans mes bras. Je contourne l'hôtel de ville, je jette un coup d'œil de sympathie aux géants de Puget qui soutiennent le balcon ; je gagne le cours qui s'orne et se pavoise pour le bal de nuit, je mouille ma main aux fontaines tapies dans le clair-obscur des carrefours, je hume l'odeur du poisson mort qui encombre le marché, j'écrase du pied des débris de coquillages, je suis les ruelles étroites: la rue des Boucheries, où mon cabaretier a disposé les chaises pour la causette de chaque vesprée, – la rue du Canon, où une voiture chargée de branches de pin m'annonce un boulanger qui se ravitaille en bois. Le four, au fond de la boutique, flamboie déjà et met une lueur vacillante aux plateaux de cuivre des balances. Je fuis cette fournaise menaçante et, sans plus m'attarder au sourire des jeunes fornarines, je gagne la place d'Armes dont le kiosque enguirlandé, étrange comme une pagode, s'encombre de casquettes blanches... Et la poésie des lieux m'envahit, m'oppresse et m'enivre ; je m'en délecte comme d'une liqueur. Oui, Toulon, avec son quai vénitien où le bruit des moteurs ne parvient point, – avec sa halle pleine d'une odeur violente de figues et de melons, – ses petites places ombragées de platanes, – ses longues voies ténébreuses et parallèles, bercées par le claquement du linge dans le mistral, – ses conciliabules de bonnes gens assis le soir sur le pas des portes, – ses cris de marchands corses et piémontais, – ses horizons de mer et de vaisseaux au bout des rues, – ses innombrables petits bars où retentissent les rires des filles, – ses grandes pâtisseries fraîches, – ses épiceries parfumées, – ses poissonneries bruyantes, et son dossier de montagnes qui l'enferment et la cachent au monde, – Toulon est bien à la fois, la cité provençale de la joie et du repos. Ici elle dort au soleil, là elle danse dans la lumière. Elle est chaque jour pour moi ce qu'elle est pour les marins qui s'y reposent une heure, après un long voyage : ville d'allégresse et de volupté, ville de paresse et d'oubli. Léon Vérane Toulon, pp.115-118
Rêver, Rêver, Rêver Toulon !
Je t’aime
ainsi commence une histoire
au bout du monde il y avait toi
L’attraction terrestre nous traque
Mille phares mille éclats de toi
Dans les ruelles l’horizon danse
Il brûle au sud de ma voix
J’ai construit un rêve entre le ciel et l’eau
J’avance la forêt me rattrape
la mer efface le nom des bateaux
Ce qui craque
ce qui nous échappe
J’ai construit un rêve entre le ciel et toi
Allez c’est parti
poème qui appareille
c’est parti
Dehors un océan d’herbes fraîches
et des chevaux de mer aux paroles salées
Je suis encore à quai avec les cartes
vieux bateau qui rouille dans le sommeil des eaux
vieux navire au long cours
Faudra marcher la tête dans la lune
la quille noyée dans l’horizon
tranquille.....
Il y avait une terre lointaine
entre le lit et la lampe de chevet
peuplée d’indiens d’esquimaux et de femmes des tropiques
peuplée de centaures d’éléphants de légendes
et le goût de miel de la voie lactée
Rêver !
j’ai vécu dans un port beaucoup
j’avais un peu voyagé
les yeux gris des sentiers vous font naître où ils veulent
cet appel du vent du chant du large
cette fièvre des étoiles
ces histoires de légion de Rimbaud de contrebande efficace
ces îles glaçons étranges dans les verres de liqueur
et mes amies les anges
vous saluent ô voyageurs
surgis de la caresse des vents
portés par le seul espoir des vagues
le coeur éclaboussant l’écume
à vos yeux éblouis par l’innocence du ciel !
Je vous salue
sur ce quai des errances
Navigateurs célestes
et le sable de vos souvenirs
à la dune de notre mémoire
Rêver les bras ouverts
au sucre doré des épices
au poivre éminent des idées
à la cavalcade des nuages
Rêver ! Interdit de rêver !
au bout du monde il y avait toi
petite sirène des néons bleus et rouges
tes lumières à perdre haleine
ce souffle pour ta douleur sauvage
Au carrefour des baraques à sandwichs
chacun rêve ses pas somnambules
intérieurs
de silence
proscrit
Interdit de rêver
aux allumettes qui épousent les lions à la Havane
aux toits des banlieues diatoniques
aux cargos bleus d’azur
à la fenêtre de mes 15 ans
Interdit de croire au soleil
salut ! Shalom ! ciao ! Hello ! Alecum salam !
à la tangente des comètes
interdit de croire à l’homme c’est un salaud
d’ailleurs regardez-vous !
Vous n’avez pas vos noms sur les rues
les rues sans nom
baptisées par les chiens
Place de l’Amour
Rêver !
au choc de nos silex anxieux
la parole a du son et du sens
la nuit rêvée
où les foules chaloupent
dans le craquement des sonos maritimes
et le vent....
Nous étions jeunes alors
sous la barbe du soleil
Millions d’algues aux yeux verts
le nom des poissons sur la langue
abattus de poésie
la lumière dévoile la lumière
je revois la terre rouge et chaude
comme un miroir de cendres
sur les voiliers du Nouveau Monde
Nous sommes le real real world !
et personne ne croît en nous
pas même ceux qui nous ont créés à leur image
fantômes signes bruissants à la rivière des crânes
Ossements affluent du moyen âge de leurs croyances
Massacres ! Hérésies ! Seigneur
Comme l’humain est tendre sous la dent
Ceux qui nous aiment
à leur image terrifiante
Messages de Paradis
Messages de l’Enfer
Nous nous sommes rassemblés dans l’ombre
chênes verts des pays méditerranéens
Il n’y avait que le ciel et la houle
quelque chose de très noir envahissait la ville
on ne se voyait plus
rien que les yeux des chats
et le silence
Interdit de rêver
sauvage à retenir tes griffes
ta force vive
tes fous rires
ton insouciance
ta crinière de palmiers
ta solitude aussi
je t’aime
ainsi commence une histoire
au bout du monde il y avait toi
Bonjour Claret St Roch Ste Anne et Valbourdin
Siblas Le pont du Suve Bon rencontre l’Escaillon
La Loubière St Jean Magaud Le Mourillon
Montety Les Lices Rodeilhac La Beaucaire
Besagne comme un coeur Méjean et Ste Musse
Pont du Las Le Jonquet ma ville des 3 rivières
dont celle des Amoureux
et tous ceux que j’oublie
quartiers quartiers
de toutes les places fraternelles
où le soleil se lève
Bernard GUEIT
21/10/97
Je marche seul à seul
ville sourde
parmi les silhouettes
les fruits répandus
à 16 ans
plein de fureur adolescente
l’orage sèche dans ma gorge
O ma ville
je crois l’aimer
je lui tends mes chaînes
je cherche mes mots
dans la rue
j’entends les cris
dans le ghetto du soleil
Je marche
ville assiégée par la mémoire des places
elles me parlent d’un peuple
qui écrivait le sang des pieuvres
au frontispice des vents
Quand la chaleur se rassemble
autour des fontaines bavardes
midi s’endort
une ruine dans la lumière
Le mistral déshabille les mouettes
le néon bleu des filles étoiles de mer
à s’offrir l’or des bauxites
le trafic la nuit le voyage
au bout du sel
et du sommeil
Je roule dans mon temps nomade
racines sanglantes à l’air
vous croise un voilier triste
au fond des yeux
murènes phares
autoroutes sur les vagues
hommes grenouilles
réfugiés dans le gulf stream de la vie
un pays n’est ce qu’une femme en deuil
un coquillage de souffrance
vide
Dans les quartiers du monde
le soleil plante son totem
linge aux fenêtres taureaux de sang
vierges noires
mêlent peaux langues arabesques
dans les rues à la menthe
Je descends vers la guitare gitane du port
la guitare de Barcelone aveugle de naissance
la guitare satellite enceinte du tiers monde
la guitare aux fleuves crocodiles
la guitare des barbituriques
la guitare nue sous les porches
O Ma ville
Tu t’habilles de bateaux
pins parasols aloès la mer
Darbouka fifres luths mandoles bouzoukis
la mer
entre chaque doigt de la main
Le site de Léon Vérane, créé et animé par l'association des amis du poète